Afghanistan : des opiacés en or…

14 novembre 2013

Afghanistan : des opiacés en or…

Un champ de pavot en Afghanistan
Un champ de pavot en Afghanistan

Enfant, mon père me préparait à être un Homme. De ces conseils, j’en retiens que je devrais savoir m’adapter à toutes les situations. Je devrais développer en moi une forte capacité d’adaptation digne d’un bon acteur de Hollywood. Et si je n’avais pas fait mienne cette éducation paternelle, j’aurais connu maintes difficultés à écrire ce  billet à la sauce afghane.

Je ne pouvais parler de l’Afghanistan sans me mettre dans une belle carapace de soldat. Je ne pourrais faire voyager ma plume à Kaboul sans ma tenue militaire. Mais heureusement, mon billet afghan ne surfera pas sur les virulentes zones de combat du pays de Hamid Kazaï[1]. En effet, il ne parle point de ces combats entre forces alliées de l’Organisation Atlantique nord (Otan) et insurgés talibans, ni de ces nombreux attentats à la voiture piégée et de ces kamikazes qui s’explosent à longueur de journée dans les grandes villes de ce pays en ruine. Pour qui connaît l’Afghanistan, il y a autant, sinon plus sérieux que la guerre.

L’Afghanistan n’est pas que le pays de ces montagnes où se dissimulent les chefs de guerre talibans, les terroristes d’Al-Qaïda.  L’Afghanistan, c’est aussi ces milliers d’hectares de champs où se cultive l’opium[2]. Pour ceux qui en doutent, ce n’est seulement pas en Amérique du Sud, ou dans quelques villages reculés de l’Afrique que la production des stupéfiants (cocaïne, marihuana, etc.) est en vogue. En Afghanistan, l’opium est la culture du peuple. Ironiquement, c’est la première culture vivrière du pays.

Triste réalité !

Cette année, la surface dédiée à la culture d’opium atteint un record dans le pays. Dans un rapport publié ce mercredi par le Bureau des Nations-unies contre la Drogue et le Crime (UNODC), la superficie totale de champs d’opium est passée de 154 000 hectares en 2012 à environ 209 000 hectares en 2013. Cette hausse de plus de 36 % en moins de douze mois fait de l’Afghanistan le grenier par excellence de production de l’opium. En effet, la production locale, en hausse de 49 % par rapport à 2012, estimée pour cette année à plus de 5 500 tonnes représenterait aux dires des enquêteurs, environ 90 % de la production mondiale. Et l’Afghanistan n’est pas disposé pour le moment à se défaire de cette tristement honorable place de numéro 1 mondial en production de l’opium. Aussi, l’opium contribue-t-il à plus de 50 % de l’économie locale. Et la production locale aurait pu être plus grande si les conditions météorologiques n’étaient pas défavorables dans le sud et à l’ouest du pays. Face à cette situation, la communauté internationale semble impuissante pour endiguer le phénomène.

De l’opium comme arme de guerre ?

Bien que cette folle production de l’opium constitue une forte menace pour la santé publique du pays et même du monde entier (hausse de la consommation mondiale), la lutte contre la production est fortement handicapée par la situation sécuritaire et économique du pays. En effet, la production de l’opium sert simultanément d’armes de guerre pour les différentes parties belligérantes. Pour les talibans, c’est un riche moyen de financement de la redoutable guerre qui perdure depuis des années. Avec les taxes perçues auprès des producteurs, cela leur permet de rester économiquement forts pour continuer les combats. Du côté des forces alliées de l’Otan et du gouvernement de Kaboul, la faiblesse de la lutte, teintée de la corruption mondiale sur le marché des stupéfiants, serait justifiée par le fait qu’une destruction massive des champs d’opium bien qu’elle serait un choc économique pour les rebelles, pourraient favoriser une augmentation de leurs effectifs. En effet, le rapport souligne clairement que les populations deviendraient pauvres et elles n’hésiteraient pas à rejoindre les rebelles pour une insurrection. Et avec le départ annoncé des forces de l’Otan pour 2014, il ne faut pas prendre le risque d’enliser la situation sécuritaire. D’ailleurs, le gouvernement s’est ravisé sur sa politique de destruction des champs et de reconversion des producteurs dans les cultures vivrières.

En Afghanistan, la culture de l’opium a donc de beaux jours devant elle. L’hégémonie acquise par le pays en 1980 dans le secteur ne s’estompera pas de sitôt. Cédé à plus de 169 dollars aux négociants, ce marché de l’opium n’a rien à envier au marché d’or, de diamant, et du pétrole des autres pays du monde. Et pour la “campagne 2014’’, on s’attend à une production encore plus forte, car les acteurs du secteur se décideraient à « préserver leurs avoirs face à la perspective d’un futur incertain qui pourrait résulter du retrait des troupes internationales fin 2014 » souligne le rapport.



[1] Homme d’État afghan, élu président de l’Afghanistan en 2004, lors de la première élection présidentielle directe de l’histoire du pays, il a été placé à la tête du pays après la chute des talibans, en décembre 2001. Hamid Karzaï a incarné la transition démocratique en présidant à la mise en place d’institutions et d’élections libres.

[2] L’opium est issu de la culture du pavot.

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Commentaires

jr abcdetc
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Et le rôle des Etats-Unis dans le trafic, qui perdure depuis des décennies ?
La guerre d'Afghanistan n'est pas perdu pour tout le monde.
Sourire

De Rocher Chembessi
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Cher ami,

tu dis tout haut ce que tout le monde sait tout bas. Tu comprends donc la passivité des uns et des autres face à cette folle production de l'opium en Afghanistan. Qui est fou? me dira ma mère....

DJOHY
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Ah oui? Qui est fou? Tout le monde sait de quoi il est question...
Un retrait annoncé et attendu de tous, mais à impact divers. En tout cas, il faut laisser l’Afghanistan aux afghans...

De Rocher Chembessi
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cher serge je pense bien qu'au-dela d'une pensée indépendantiste pour l'afghanistan, il faut réfléchir à une solution durable pour ce phénomène...