Bénin: Le Pardon ambigu de Yayi à Talon…

15 mai 2014

Bénin: Le Pardon ambigu de Yayi à Talon…

Boni Yayi et Patrice Talon
Boni Yayi et Patrice Talon

C’est la grosse actualité au Bénin. Le Chef de l’Etat s’est prononcé dans la soirée de ce mercredi en direct à la télévision nationale sur les supposées affaires d’atteinte à sa vie privée et à la sûreté de l’Etat. Des affaires qui défraient la chronique depuis Octobre 2012 et dans lesquelles l’homme d’affaires Patrice Talon est abondamment cité comme principal commanditaire. Contre toute attente, Boni Yayi renonce à sa plainte contre Talon et consorts et par la même occasion leur accorde son « pardon ». Mais un message truffé d’incompréhensions

Boni Yayi a-t-il sifflé la fin de la récréation ? Quelle mouche a-t-il bien piqué le Président de la République ? Qui a pu bien le convaincre de sa déclaration?

Ces questions, des millions de béninois se les posent depuis la retentissante sortie médiatique du chef de l’Etat à la télévision nationale dans la soirée de ce mercredi. Boni Yayi, légendairement connu au pays pour ses écarts et invectives a fait preuve d’une sagesse « mandelanesque » dans ces conflits judiciaires qui l’opposent à certains de ses compatriotes dont notamment l’homme d’affaires Patrice Talon. Ces derniers inculpés dans des affaires de « tentatives d’empoisonnement du chef de l’Etat » et «d’atteinte à la sûreté de l’Etat ».

Après maintes procédures judiciaires au retournement spectaculaire (mais pour la plupart du temps en défaveur du chef de l’Etat), Boni Yayi semble avoir pris de la hauteur. Au nom d’une « médiation » qu’auraient menée de hautes personnalités internationales dont notamment le Secrétaire Général de la Francophonie, Boni Yayi renonce à sa plainte. Il pardonne !

Et il s’engage publiquement à œuvrer pour que la justice puisse mettre un terme à ce long feuilleton devenu « insupportable » pour le pays.  Il exhorte d’ailleurs la clémence de l’appareil judiciaire pour que les conséquences se ressentent assez rapidement. Ce qui va s’en dire qu’on pourrait assister à la libération des détenus dans cette affaire et probablement (reste encore à ce que les conditions soient réunies) le retour au pays des personnes exilées dans le cadre de cette affaire.

Des mots qui ont semé comme on pouvait s’y attendre des sentiments de satisfaction dans l’opinion nationale. Enfin ! Ont crié les béninois au terme de ce discours du Chef de l’Etat car cela fait bien longtemps qu’ils espéraient la fin de ce feuilleton devenu asphyxiant pour le pays.  Le bras de fer Yayi-Talon aura été fatal autant pour l’économie nationale (l’opérateur économique détenant de grosses parts dans les secteurs vitaux de l’économie nationale), la quiétude nationale (car il a donné un lieu à un activisme politique assez dur et parfois violent des deux parties). Mais ce pardon comporte encore quelques zones d’ombres.

Les analyses…

Quelques instants après le discours télévisé de Boni Yayi, l’euphorie était à son comble. Normal car on peut crier au dénouement d’une affaire longtemps paralysante pour le pays. Mais est-ce l’épilogue. Tout dépendra de la justice. Mais certaines questions méritent d’être soulevées.

Il y a d’abord la grandeur d’esprit des deux hommes que certains médias ont qualifié de la « paix des braves ». En effet, Boni Yayi aurait pris sa décision en réponse à un regret exprimé par Patrice Talon « par écrit » auprès du Secrétaire Général de la Francophonie. Mais c’est bien à ce niveau que se posent les grosses interrogations ?

Que regrette Talon ? Nulle part dans sa déclaration, Boni Yayi n’a évoqué un regret explicite d’une tentative d’empoisonnement ou de coup d’Etat. La seule phrase dans laquelle il fait part du regret de Talon, l’homme aurait écrit « … je vous informe aujourd’hui, mes très chers compatriotes que Monsieur Patrice TALON a adressé à son Excellence le Président Abdou DIOUF, une correspondance dans laquelle il regrette sincèrement et profondément le fait qu’il ait pu nuire d’une manière ou d’une autre au Président de la République dans sa tentative de défense de ses intérêts. Il dit aussi regretter l’activisme politique qui a été le sien durant cette situation et s’engage à y mettre fin…» C’est donc bien loin d’être un aveu. D’ailleurs, les avocats de Patrice Talon ont bien précisé que leur client n’a jamais reconnu avoir intenté à la vie du chef de l’Etat.

Il y a eu aussi le son de cloche du député Eric Louis Houndété sur une radio locale du nord du Bénin. L’honorable très en verve dans l’opinion publique soutient que Boni Yayi avait le dos au mur.  « Il n’avait pas le choix. C’était le seul moyen pour lui d’espérer la participation des investisseurs à la Table Ronde sur l’Economie Béninoise qu’organise très prochainement le gouvernement en France. »

Des béninois sceptiques comme le député, il y en a eu aussi. D’autres préfèrent attendre les actes pour s’assurer que Boni Yayi a effectivement été conquis par l’esprit du pardon. D’ailleurs, ils espèrent deux choses : une rencontre entre Talon et Yayi lors de la prochaine visite du chef de l’Etat en France, la publication de la lettre que Patrice Talon aurait envoyée au Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Il y a aussi ceux qui pensent que Boni Yayi a voulu s’éviter la honte sur plusieurs plans. Il y a d’abord la procédure judiciaire qui ne lui sourit pas et cela pourrait bien être le cas malgré la dernière décision de la Cour Suprême. Ensuite, les soucis économiques du pays. Yayi a besoin de l’apport de Talon (du moins de ces nombreuses usines en cessation d’activité) pour l’égrenage du Coton, vital pour la survie de l’économie nationale.

Enfin il y a les proches de Boni Yayi qui célèbrent à leur manière le « Gandhi » béninois.

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Commentaires

DEBELLAHI
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Que veut dire "pardonner" de la part d'un chef d'Etat? Ou il gracie, ou il amnistie. Pour cela, il faut qu'il y ait un acte judiciaire incriminant l'intéressé. La présomption d'innocence ? Les atteintes à un Chef d'Etat ne sont pas un braconnage de lapins ! Cela concerne toute la nation, la crédibilité de la justice dont tu parle. Ou bien la nation c'est lui, Boni Yayi ? Le notre, en Mauritanie, avait reçu dans les intestins une balle "amie" d'un officier piètre tireur. Comme s'il s'agissait d'une scène de ménage, l'histoire a été étouffée, pas le tireur. Merci pour cet éclairage. Il serait mieux que tu sois plus réactif avec tes commentateurs attitrés, comme moi. Sourire !

De Rocher Chembessi
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Cher Debellahi,
Toutes mes excuses si j'ai pas pu être réactif sur vos derniers commentaires. Question de disponibilité.

Revenant maintenant sur votre dernier commentaire sur cette histoire de "pardon" du Chef de l'Etat, je vous avoue que c'est encore incompréhensif pour nous béninois, du moins qui prenons encore du temps de l'analyse. Qui a pardonné qui? On se le demande? Mieux, je ne vois pas où Patrice Talon aurait reconnu avoir tenté à la vie du Chef de l'Etat et à la sûreté de l'Etat sauf si je ne comprends pas français. Ma seconde analyse qui du moins se base sur les notions de droit pénal (que j'ai pu m'enseigner à la va-vite), dans une affaire de crime, le plaignant n'a aucun pouvoir de renonciation de poursuite ou de retrait de plainte, dans ce cas, Boni Yayi qui par surcroît n'a jamais porté plainte (aux dires des avocats et juges impliqués dans le dossier) devra nous expliquer par quelle alchimie il compte faire exécuter son "pardon" qui n'a aucun sens juridique. Tout est dans le pouvoir du Ministère Public sauf si le Chef de l'Etat se décide d'user de ses prérogatives de Premier Magistrat. Le pardon est aussi flou que l'histoire en elle-même. Maintenant quand vous parlez de la crédibilité de la Nation, cela fait bien longtemps qu'elle n'est plus une valeur que l'on partage au sommet de l'Etat. Du coup, elle n'existe plus dans le langage politique de chez nous. Et Yayi, lui-même l'a reconnu dans son message car il dit, je cite "cette affaire a terni l'image de notre pays à l'international"

Cher Monsieur, j'espère vous avoir répondu...

romulus
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la seule chose qui peut eclairer l'opinion publique est le fait de montrer la lettre dans laquelle Talon a reconnu les faits qui lui sont repproches

De Rocher Chembessi
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Cher ami,

Quand j'ai écouté Boni Yayi dans le week end lorsqu'il était au siège de l'Organisation Internationale de la Francophonie, le discours a subitement changé. Nulle part il n'a évoqué le regret de Talon, l'existence de la fameuse lettre encore moins la reconnaissance par Talon d'une certaine culpabilité dans cette affaire. Il s'est juste tenu d'affirmer et de réaffirmer que les conditions sont réunies pour un retour de Talon au pays. Et même cette déclaration, n'y croyons pas si vite...