La stratégie du «si le peuple le réclame…»

20 janvier 2014

La stratégie du «si le peuple le réclame…»

Le Général Al Sisi, l'homme fort de l'Egypte...
Le général Al-Sissi, l’homme fort de l’Egypte…

C’est fait ! A une majorité écrasante de 98, 2 %, la nouvelle Constitution égyptienne vient d’être votée. Un « oui » qui permet au général Al-Sissi de maintenir son hégémonie sur le peuple du pays des pharaons.

Ce vote, il l’avait bien prédit. Pendant les campagnes électorales, le général ne sentait aucune gêne à l’idée de savoir qu’il pourrait se porter candidat à la  prochaine présidentielle. Et il martelait très sereinement « si le peuple le réclame ». Il faut souligner que pas plus de 38, 6 % des électeurs se sont prononcés. Dans leur grande majorité, les Egyptiens ne se sont pas associés à cette mascarade électorale.

Mais cette machination du « si le peuple le réclame » est bien loin d’être une invention du général Al-Sissi. Sur le continent, elle foisonne. Dans nombre de pays où le pouvoir présidentiel fut conquis par des coups de force, ceux qui se hissent au fauteuil présidentiel ne manquent pas de faire appel à cette formule magique du « si le peuple réclame ». Une manigance qui contrarie assez bien souvent avec les promesses de ces leaders. En effet, ils sont bien nombreux ces arrivistes qui font la promesse de ne pas se présenter à la magistrature suprême après la très tumultueuse période de transition.

Une promesse qu’ils ont bien du mal à honorer. Du coup, ils se lancent dans une stratégie de forcing qui s’avère gagnante pour certains.  Nombre d’entre eux sont devenus des présidents à vie. Cette formule est encore la baguette magique de quelques chefs d’Etat. Une modification de la Constitution par un référendum avec un « oui » très largement majoritaire n’est rien d’autre qu’un « si le peuple le réclame » pour idolâtrer la fonction présidentielle.

Une telle manœuvre peut s’avérer suicidaire autant pour le pays que pour son instigateur. L’ancien président du Niger, Mahamadou Tandja, qui s’est maintenu au pouvoir après avoir usé du « si le peuple le réclame » pour modifier la Constitution s’est vu emporter par un coup d’Etat militaire largement applaudi par les populations locales.

En Guinée Conakry, Moussa Dadis Camara, a été stoppé net dans son ambitieux projet d’exploiter le « si peuple le réclame » pour légitimer son pouvoir acquis par la force militaire au lendemain du décès du président Lansana Conté.

Est-ce  le peuple qui réclame le maintien au pouvoir de ces chefs d’Etat ? Est-ce vraiment le peuple qui plébiscite l’un ou l’autre à la tête des Etats africains ? Cette pratique du « si le peuple le réclame » est-elle propre à l’Afrique ?

L’Afrique est bien loin d’être le dépositaire universel de cette pratique . C’est aussi une tactique  prisée dans les pays de l’Amérique latine adeptes de la révolution bolivarienne, dans les pays de l’ancien bloc soviétique, et dans certains pays de l’Asie. Seule l’Union européenne semble ne pas être emportée dans cette comique démocratie du « si le peuple le réclame ».

De plus, certains analystes réalisent qu’elle est bien loin d’obtenir l’aval du peuple. Dans le seul cas égyptien, on s’aperçoit que c’est une partie du peuple qui a « réclamé » la mutation du pouvoir du général Al-Sissi. C’est bien aussi le même scénario dans les autres pays où la tentation du forcing du peuple est utilisée. Et très souvent, c’est une infime partie du peuple qui est instrumentalisée pour la mise en scène. Ce qui fait qu’elle donne lieu à de nombreuses tensions politiques.

Mais avec la dernière élection présidentielle à Madagascar, ne va-t-on pas vers une nouvelle formule du « si le peuple le réclame » en Afrique ? Une formule à la russe comme ce qui s’est passé avec Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev ?

Après avoir tenté en vain de se porter candidat à la présidentielle pour légitimer par les urnes son pouvoir acquis par la force  en 2009, le président de la transition Andry Rajoelina a su œuvrer pour la victoire de son porte-flambeau Hery Rajaonarimampiana comme président de la République de Madagascar. Un triomphe qui donne bien le droit aux populations de s’interroger sur qui gouvernera le pays entre les deux hommes ou un probable retour de Andry Rajoelina au pouvoir dans les toutes prochaines années. Et c’était bien cette stratégie du « si le peuple le réclame » que voulait aussi exploiter l’ancien président déchu Marc Ravalomanana pour retourner sur la grande île en espérant une victoire de son candidat Robinson Jean Vincent.

« si le peuple le réclame », une pratique bien pensée pour le blanchiment des pouvoirs très controversés…

« si le peuple le réclame », la belle formule pour imposer sa volonté au peuple…

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Commentaires

Babeth
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"Si le peuple le réclame" je crois bien que le Blaiso du Burkina Faso userait bien de cette formule. Sacré pouvoir... Feu le Général Guei Robert auteur du premier coup d'État en Côte d'Ivoire en son temps à voulu en user... Le pire c'est qu'il y aura toujours des gens pour accompagner cette stratégie..
Belle article.

De Rocher Chembessi
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Babeth, qui te dit que le Blaise du Faso n'en userait pas dans les prochaines semaines. J'ai entendu dire à un meeting des ténors du parti de Compaoré que si l'opposition ne veut pas d'une modification de la constitution, on invitera le peuple à se pronconer. On passe donc au référendum et je vois mal "le peuple ne pas réclamer" Blaise pour une nième fois. Robert Guei n'a juste pas eu la m^cme chance que ses autres camarades. Heureusement qu'il n'est pas le seul. Mais malheureusement comme tu le dis si bien, d'autres diables de la politique ferint perduer cette pratique malsaine, que dis je du blanchiment pouvoir...

Merci pour le commentaire...

DEBELLAHI
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Mon très cher ami, ce billet tout en étant génial, il est aussi un véritable délice. "Si le peuple le veut"! C'était prévisible, en Egypte, depuis qu'on y a introduit un nouveau concept en droit et en démocratie "la légitimité de la rue". Ce qui est écœurant, c'est le silence de la "communauté internationale" devant cette entreprise machiavélique d'usurper le pouvoir par les armes, pour l'armée. Sais-tu que cette "CON-stitution" ne permet pas au Président de nommer ou limoger le ministre de la défense ? Es-tu conscient de la connivence des médias qui, depuis le putsch du 03 juillet, a transformé ceux qui défendent la légalité en simples "pro-Morsi". Quelle hypocrisie ! Je n'ai aucune affinité avec ceux qu'on appelle les frères musulmans (devenus, par la volonté du Général, des terroristes). Mais je tiens à continuer à défendre les causes justes. Pour ce qui est de notre continent, nous continuerons à avoir des "Républiques impériales", du " si le peuple..", du Poutine-Medvedev, et Medvedev-Poutine, etc.. Toutes sortes d'inepties.

De Rocher Chembessi
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Ah la légitimité de la rue? J'y avais pas pensé. Mais c'est un concept qui pourrait faire école. Et on pourrait bien avoir des adeptes sur tout le continent. Mais où allons nous avec cette démocratie très très tropicalisée. Cela me désole d'apprendre de ses énormités dans une Constitution de certains politiques qui se veut défenseurs du peuple et de la démocratie en Egypte... Comment mettre fin à cette bassesse politique? Je pense que nous sommes tous invités à répondre à cette interrogation. Merci pour ton commentaire...

JR (abcdetc)
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C'est vrai qu'en Europe nous n'avons pas cette formule, malgré nos démocraties proclamées. Mais nous savons depuis 2005 et le référendum sur le constitution européenne, que règne le “même si le peuple n'en veut pas”. Formule qu'expérimentent depuis quelques années les Grecs, Portugais, Espagnols… et dont les Français vont bientôt connaître de nouveau les délices avec le pacte de “confiance”.
Mais nous avons la chance, il est vrai, de ne pas avoir l'armée au pouvoir !

De Rocher Chembessi
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Le "même si le peuple n'en veut pas". Si je comprends, cette formule doit avoir un lien avec l'acharnement fiscal qui fait grand bruit en Europe et les mesures d'austérité. Sauf si je me trompe, ces mesures aussi dures qu'elles soient sont pensées pour le redressement de l'économie européenne et sans doute pour un mieux-être futur. Mais bon, en démocratie, comme nous le chantons tous, il faut écouter la voix du peuple. Merci d'être passé pour ton commentaire...