Ma rencontre avec une séropositive !

1 décembre 2013

Ma rencontre avec une séropositive !

Stop sida1er décembre : Journée mondiale de lutte contre le sida. En ce jour dédié aux personnes porteuses du VIH, ou affectées par la maladie du siècle, qu’il me soit permis d’avoir une pensée pour ces millions de femmes, d’hommes et d’enfants dans le monde, et particulièrement à ceux d’Afrique.

Si j’ose dire ces mots, c’est l’expression de ma colère contre ces pratiques discriminatoires à l’égard des personnes affectées par le virus. C’est ma manière à moi de rappeler à tous que nous sommes de potentielles victimes. Nul n’est à l’abri… Juste un petit regard sur les voies de transmission du virus, sur lesquelles volontiers je me tais, et chacun de nous peut réaliser que le risque n’est pas moindre. Bon sang ! Arrêtez vos pratiques inhumaines de discrimination ! Quand je me souviens de ces phrases qu’on m’a servies quand je devrais me rendre pour mes deux fois en Afrique du Sud (mars et octobre 2013), et pour la première fois au Botswana (octobre 2013), j’en ai le ras-le-bol. Tous s’accordaient à me dire « Tu vas dans le pays du sida hein ». A l’aéroport international Bole d’Addis-Abeba (Ethiopie), un ami que je venais de rencontrer à Johannesburg et en partance pour la Guinée équatoriale me dira « Waoh ! Donc la semaine prochaine, tu retournes au Botswana. Toi tu ne connais que les pays où le sida se vend le moins cher. Fais attention à leurs femmes. ». Mais c’est oublié comme le dirait l’autre, « nous sommes tous des séropositifs à l’étape latente ».

Ma « découverte » du Sida, je m’en souviens comme si c’était hier ! Nous étions en 1998, élève en classe de CM1, je venais de suivre une conférence à l’école qui portait sur les maladies sexuellement transmissibles[1] et le VIH/sida. Très émouvante présentation qui a failli me faire couper le souffle, moi qui quelques jours plus tôt, malgré mon très jeune âge (8 ans), venait de rompre avec un cycle… Il n’en fallait pas plus pour que la semaine d’après, je remporte le premier prix au concours communal de composition française sur le VIH/sida.

Ce très beau T-shirt tagué « Connais-tu ton état sérologique ? » de face, « Le sida ne passera pas moi » de dos restera comme une couronne pour moi. Mais bon ! Il était plus grand, trop grand pour moi pour que je le porte. Et c’est bien avec des larmes aux yeux que je l’ai offert quatre ans plus tard en récompense à un camarade de collège qui venait de remporter un concours dédié aux IST, VIH/sida que je venais d’organiser ! Ah oui, que je venais d’organiser ! En effet, dès ce jour de décembre 98, j’ai ressenti une obligation morale de m’impliquer corps et âme dans la lutte contre la maladie. Des années durant, du collège à l’université, au sein de ma communauté, j’ai milité dans presque toutes les structures qui s’intéressent au combat contre une maladie devenue économiquement préjudiciable pour mon pays. Et pour moi qui était dans la ville de Grand-Popo (département du Mono) reconnu pour son taux non négligeable de prévalence au VIH/ sida, il fallait être dans le combat. Mais un combat que je faisais avec peur et beaucoup de prière ! Si mon vœu était de combattre le mal dans son dernier retranchement, ma peur et ma prière étaient pour moi signe de prudence afin de ne point contracter le virus au risque de me faire passer pour un « impur », un « maudit » de Dieu par la société, pour qui le sida relevait encore du mysticisme.

Malgré moi, j’ai passé plus de douze ans dans la lutte contre le sida dans un vrai contact avec les personnes affectées. Il m’aura fallu attendre décembre 2011 pour une première rencontre avec des personnes atteintes du virus à l’occasion d’un dîner. Mais pour cette première fois, c’était bien loin d’être une vraie rencontre. A ma table, il n’y avait point de séropositif. Sans m’en rendre compte, je n’avais qu’à ma table rien que des amis. Je ne peux dire pourquoi ? Mais ce fut un regret, car j’aurais pu saisir l’occasion de me frotter encore plus avec ces hommes et femmes grandes victimes de la pensée collective qui voudraient qu’on s’isole d’eux.

Ce n’était que partie remise !

Ma première rencontre avec une personne atteinte du sida est toute récente. Le 6 octobre 2013, je fis la rencontre de Carmelita[2], une belle jeune demoiselle zambienne en Afrique du Sud. Bien qu’elle venait courageusement de s’adresser à ces milliers de jeunes participants au sommet One Young World, je n’ai pas pu retenir son visage. Dans le bus qui nous ramenait à l’hôtel, j’invitais avec insistance une jeune fille à s’asseoir à côté de moi, mais sans reconnaître la séduisante personne qui venait de dévoiler publiquement sa séropositivité. Pour elle, c’était bien plus qu’une joie de savoir qu’ il  avait quelqu’un qui ne manquait point de courage et de plaisir à partager un moment dans un esprit bon enfant. Notre conversation touchait à tout. De la vie professionnelle au jardin secret, on se racontait tout jusqu’à ce moment où je voulais m’assurer qu’elle serait à la fête ce soir en boîte nuit, une fête à laquelle que je ne devais participer pour des convictions personnelles. D’un sourire assez éloquent, elle répliqua « Do you invite me [3]? ». Je ne pouvais m’empêcher de lui restituer l’air joyeux son sourire « Yes, it will be very amazing to stay with you at the party? I wanna talk with you more time.[4]». A cet instant même, Carmelita, mon interlocutrice devient hésitante. J’ai bien du mal à comprendre ce qui lui arrive. Brusquement, elle me dit « If i could, I will call you. Give me your room number. »[5]. Venais-je de faire une mauvaise blague ? Ma tête se mit à tourner dans tous les sens ! Je n’avais aucune intention de me rendre à la fête en boîte, je voulais plutôt la convaincre de venir en promenade à Sun City avec mes amis et moi. Pour nous, la fête serait autour de quelques bouteilles de vin à Nelson Mandela Square. Mais tout devient silencieux entre nous. Plus aucun mot, elle ne pipe ! Moi, j’ai perdu ma langue. Je ne sais plus quoi dire, déjà que mon anglais n’était pas du très haut niveau. Gentiment, je lui demandais de me permettre de discuter avec un ami. Théo[6], compagnon de route venu de la Côte d’Ivoire n’hésitera pas à me féliciter pour mon courage.

–          « Mon gars, t’es comme moi. J’aurais fait autant que toi. Dieu lui-même a dit avant de manger, il faut prier et plus rien ne peut vous arriver. Donc, tu pries et tu manges. » me dit-il sous un air joyeux.

Dans son argot des faubourgs d’Abidjan, il vient d’annihiler mes capacités de compréhension.

–           « Mon gars, tu parles de quoi ? Je ne veux rien manger non ! » lui répondis-je.

Et heureusement, il se ressaisit.

« Gars, tu es sérieux ? Donc tu sais pas ? Tu connais pas la go quoi ? » s’amuse-t-il à me demander.

Des phrases qui provoquent un tourbillon de réflexion dans ma cervelle. Ayant compris que j’étais sérieux, que j’ignorais vraiment tout, il se décide à me parler.

« Hum man ! La go là, c’est la séropositive qui a parlé du sida ce matin non ! C’est pas la Zambienne de Grassroot soccer ! Donc tu ignorais que tu étais assis avec elle. » me confie-t-il.

Un moment plein d’émotion pour moi. Je ne sais si j’aurais pu eu tout ce courage de me mettre si près, d’avoir une si grande affinité avec elle si j’avais su plutôt qu’elle était séropositive. Et Théo, avec humour de me dire : « T’es béninois man ! Ya le vaudoun chez toi. Tu pries, tu manges et rien ne va t’arriver ».

A cet instant, je pris mon courage à deux mains et retourna vers mon amie du soir. Mais il n’y avait beaucoup plus trop de temps pour discuter, car nous sommes presque arrivés à son hôtel. Je n’ai juste eu quelques petites minutes pour lui demander si elle se décide enfin à être avec nous ce soir. « I am not sure. » [7] répondit-elle en m’offrant en souvenir un ruban rouge et un petit bracelet Grassroot Soccer. Une manière de me dire qu’elle était séropositive… Qu’elle était la fille ayant témoigné ce matin de son état sérologique…

Et cette belle expérience, je ne suis pas prêt à l’oublier. Bien envie de la répéter pour développer et renforcer mon côté humain et affectif. A chacun de s’en servir…



[1] Ancienne appellation des infections sexuellement transmissibles (IST)

[2] Nom modifié

[3] « M’invites-tu ? »

[4] « Oui, ce serait très intéressant de passer du temps avec toi ce soir, je veux bien qu’on se parle »

[5] « Si je peux, je t’appellerai. Donne-moi ton numéro de chambre. »

[6] Nom modifié

[7]«  Je ne suis pas sûre ».

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